RSS

LE CHAMAN, LE CHAMPIGNON, LE PERE NOEL ET LES VOEUX DU NOUVEL AN…

23 Déc
LE CHAMAN, LE CHAMPIGNON, LE PERE NOEL ET LES VOEUX DU NOUVEL AN…

Cette petite recherche a commencé par hasard. La lecture d’un ouvrage sur l’histoire de la Russie communiste a mené à la lecture de légendes sibériennes, dont celles concernant des chamans, des champignons et le solstice. Une seconde recherche, plusieurs mois plus tard, d’images pour illustrer un petit billet sur les anciennes décorations en verre coloré pour le sapin a abouti aux images de mignons champignons à suspendre…. de là nous sommes arrivés aux cartes de voeux et nous y avons croisé le même champignon….Cela commençait à faire beaucoup de champignons et la question s’est posée : mais que fait donc ce végétal toxique dans le contexte des fêtes de fin d’année ? Voilà pour la petite histoire.

Toutes les images ont été trouvées sur le web. le copyright appartient à leurs auteurs dont le nom n’était pas indiqué.

Le chamanisme sibérien est bien documenté grâce aux nombreux travaux d’ethnologues. Certains  considèrent la Sibérie comme le pays d’origine du chamanisme. En raison des nombreuses ethnies sibériennes, les pratiques varient mais conservent un tronc commun. Le chamanisme n’est pas une religion mais une manière de vivre. Originellement, un chaman est une personne qui vit au contact de la nature et possède une grande connaissance des plantes. Il est un guérisseur et un intermédiaire, un lien entre le monde minéral, végétal, animal et les esprits. Pour entrer en contact avec les esprits, il  utilise des plantes et des instruments de musique. 

Les champignons sont très représentés sur les cartes de voeux. Ce sont ceux chapeautés de rouge à semis de points blancs (graphiquement une belle réussite de la nature) qui sont majoritaires. Leur présence sur les petits cartons est-elle uniquement esthétique ? Pourquoi ce choix ? D’autres éléments naturels agréables à l’oeil auraient pu être choisis…. Creusons un peu et…. spéculons (la spéculation étant une autre manière amusante de raconter une histoire en regroupant des faits)… On peut aussi parler d’ethnomycologie. Donc, amusons-nous un peu…

Le champignon représenté est le plus courant de l’espèce, l’Amanita muscaria, dite aussi amanite tue-mouche ou fausse oronge. C’est un champignon toxique, psychotrope, hallucinogène. Le diamètre du chapeau peut atteindre vingt centimètres de diamètre. Ce champignon serait apparu en Sibérie-Béringie au cours de l’ère tertiaire avant de se répandre à travers l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord.

Dans sa Sibérie de naissance, le champignon étaient (est ?) utilisé par les chamans pour entrer dans le royaume des esprits. Il en sera de même, plus tard, dans les autres régions et les autres civilisations quand le champignon s’y implantera. Une plante hallucinogène fini toujours par avoir ses entrées dans divers rituels.

La littérature révèle que l’amanite n’a pas été réservée au seul chaman sibérien. Elle était plus largement utilisée de façon récréative par la population. De nombreux récits décrivent l’usage des champignons lors de fêtes communautaires ou d’événements familiaux . Pourrait-on aussi voir dans cette consommation un moyen de trouver de la vitamine D pour combattre les maladies hivernales durant les mois sans soleil ? Les exemplaires comestibles de l’espèce sont une source importante de cette vitamine. Des sources ethnographiques parlent, entre autres thèmes, des ouvriers sibériens qui prenaient une petite quantité de champignons avant de commencer le travail physiquement difficile pour profiter de l’explosion d’énergie et de la légère euphorie produite à cette faible dose.

Même si les amanites eurent une valeur récréative et médicinale en Sibérie, le lien entre le champignon magique et les fêtes de fin d’année est-il possible ? Que peuvent nous dire les pratiques locales dans l’antique Sibérie sur les raisons pour lesquelles nous échangeons des cadeaux au moment du solstice, les déposons sous des sapins décorés de guirlandes ou dans des chaussettes suspendues devant la cheminée, de la présence du rouge et du blanc, sans oublier les histoires de rennes volants ?

Les traditions, les rituels, les légendes ont généralement pour point de départ une raison ou un événement réel très simple, banal, souvent même très anecdotique et qui aurait dû ou pu le rester… Au fil du temps, la raison, le détail originel, se dilue, se mélange à d’autres au point de rendre difficile de remonter jusqu’à sa source. Dans les sociétés pré-chrétiennes européennes qui utilisaient un calendrier lunaire, le solstice d’hiver marquait la fin de la vieille année et inaugurait une période crépusculaire qui n’était ni l’ancienne ni la nouvelle. Comment se rassurer, espérer le retour du soleil, d’un quotidien moins dur ? Le chaman sibérien faisait alors le tour des habitations pour distribuer des cadeaux : des amanites séchées; cela pour redonner de l’énergie et un peu d’euphorie à la population. Le chaman faisaient sécher les champignons enfilés sur des ficelles qu’il accrochait aux branches des arbres (notamment des pins) ou les suspendait dans des sacs de toile humides devant le feu (détails documentés). Ajoutons que les rennes sont amateurs de ces champignons qui les rendent eux-aussi euphoriques. Et pour finir, ce champignon aime pousser sous les sapins (symbiote). Ainsi, tout le monde « plane »…. le chaman, la population, les rennes… alors de là à voir voler un traîneau et les rennes, rien de plus naturel…

Ce chaman qui apportait santé, euphorie, énergie s’est-il transformé petit à petit en une légende en occultant une partie des éléments réels ? L’histoire s’éloignant de son lieu de naissance donnant naissance à un personnage apportant furtivement des cadeaux au moment du solstice ? Un mythe beaucoup plus ancien raconte qu’une déesse passait par le ‘trou à fumée’ et déposait des présents ; cette histoire était connue dans toute l’Europe du Nord, de la Russie à l’Angleterre à l’époque médiévale.

Mais comment entrer dans une yourte dont la porte est bloquée par plusieurs mètres de neige ?  En passant par le toit et le « trou de fumée ». Le chaman grimpait sur le toit et glissait le long d’un poteau central (il y a deux poteaux de chaque côté de l’ouverture centrale du toit dans une yourte traditionnelle). Tout comme y entrait les habitants de la yourte car il n’y a aucun autre moyen d’y entrer durant l’hiver. Est-ce en raison du terrible climat hivernal de la Sibérie que le Père Noël est domicilié au Pôle Nord, adresse on ne peut plus glaciale ?

Le Père Noël avatar du chaman sibérien ? Pourquoi pas ? Tout est déjà en place : les couleurs, les sapins, les champignons ( à la fois boules, guirlandes et cadeaux) qui sèchent sur les branches ou dans des sacs suspendus comme des chaussettes devant la cheminée, les rennes, le traîneau, le toit et la cheminée comme porte d’entrée…

Fait intéressant, jusqu’à l’époque victorienne, en Angleterre, le symbole traditionnel des ramoneurs était un champignon amanite tue-mouche – et de nombreuses premières cartes de Noël et du Nouvel An représentent ces ramoneurs avec leur champignon. Comment en est-on arrivé à lier ramoneur et champignon ? Un rapport avec le chaman, ses champignons et sa façon originale de les distribuer ? Une histoire délayée ayant mis des siècles pour passer de la Sibérie ancienne à l’Angleterre du XIXe siècle ?

Des petits détails liés à des éléments qui furent réels à des périodes très lointaines perdurent partout dans nos contes, nos légendes et même dans notre quotidien. Il est souvent très difficile de remonter jusqu’à la véritable source et aussi de comprendre pourquoi un détail, une anecdote, un rituel survivra plus qu’un autre, se métamorphosant au fil du temps, mais conservant toutefois un indéniable fil, parfois ténu mais toujours solide, avec son origine. Nous en avons un exemple récent très clair : la vraie bûche en bon bois d’arbre devenu un gâteau…. et qui l’aurait imaginé il y a quelques siècles ? Tout est possible avec les traditions, car elles ne sont pas figées, elles évoluent très vite, conservant leur souche, se débarrassant de certains éléments devenus obsolètes et absorbant toutes les nouveautés, toutes les évolutions de la société. Chaque année se fait une petite « mise à jour » et petit à petit des détails très anciens qui échappent au ménage deviennent incompréhensibles, on ne sait plus pourquoi ils sont là, mais ils sont toujours là. Aux curieux ensuite de mener l’enquête. Un exemple : on ne décore plus sa maison pour les fêtes en 2023 comme on la décorait pour celles de 1960. Si le canevas de base est presque resté le même, la différence est importante. Mais comme nous avons des documents visuels par millions, il est facile de comprendre comment a progressé cette évolution et pourquoi.

L’iconographie de ces beaux champignons est un thème commun à Noël et au Nouvel An. D’innombrables décorations ont la forme du champignon magique. On peut toutefois se poser la question : pourquoi envoyer l’image d’un champignon toxique pour souhaiter une bonne année et une bonne santé ? Pourquoi en décorer sa maison ? Un motif choisi uniquement pour son esthétique ? Peu crédible, il existait bien d’autres jolis candidats. L’image du champignon rouge et blanc à, de plus, été utilisé bien antérieurement à l’adoption des mêmes couleurs pour le costume du Père Noël Alors quelle est la filiation ?

A la fin de la recherche, comme souvent, on se retrouve avec quelques réponses (nous n’avons pu les insérer toutes ici …l’histoire des chamans sibériens est documentée) et de nouvelles questions….

Parce qu’il est beau, on a donné de ce champignon méchant une image de champignon gentil, image que l’on retrouve dans la littérature enfantine en tant que résidence pour petits personnages comme les fées, les elfes, des gobelins, les gnomes,etc.

 

Étiquettes : , , , , ,

Les commentaires sont fermés.